Monday, January 25, 2010

Back to the countryside: "Les utopies du 'retour' "

Les utopies du "retour"
Danièle Léger
Actes de la recherche en sciences sociales, Année 1979, Volume 29, Numéro 1, pp. 45 - 63


Les utopies du «retour» En nombre croissant depuis 1974-75, des citadins s'établissent à la campagne, et spécialement dans les régions désertifiées du sud de la France, pour y vivre de l'agriculture et de l'artisanat. Ce mouvement dit «du retour à la nature» fait suite aux immigrations utopiques de l'après-68, à la montée puis au déclin des communautés rurales libertaires. Ces néo-ruraux, issus en majorité de la petite bourgeoisie nouvelle, semblent avoir abandonné les perspectives anti-institutionnelles radicales des premiers communautaires et se préoccuper essentiellement d'assurer leur intégration dans la société locale et la viabilité économique de leurs entreprises. Il y a cependant une continuité entre la «vie sans règle» des communautés libertaires et la vie «selon la nature» des néo-ruraux actuels : dans tous les cas, les représentations de la nature —comme foisonnement et comme ordre—nourrissent des tentatives essentiellement éthiques pour faire face à l'incertitude sociale et morale créée par les contradictions du développement capitaliste auxquelles les rendent particulièrement sensibles le caractère contradictoire et l'incertitude de leur propre situation sociale. L'ambiguïté structurelle des utopies néo-rurales peut ainsi être analysée comme le miroir de la condition vécue d'une couche sociale placée en porte-à-faux dans les rapports sociaux; et, réciproquement, c'est cette position en porte-à-faux qui commande la disposition utopique de ces éléments de la petite bourgeoisie nouvelle. Elle est liée notamment (mais pas uniquement) au décalage qu'aggrave la crise éconojnique entre les aspirations sociales liées à la possession d'un certain nombre de titres scolaires et universitaires et les conditions réelles d'insertion professionnelle et sociale ouvertes à leurs détenteurs. Cette ambiguïté des utopies néo-rurales est aussi ce qui les rend particulièrement vulnérables aux processus de «récupération» par lesquels le système social tend à digérer sa propre crise en s'incorporant des éléments de la catégorie sociale que celle-ci fait surgir. Si l'on observe, par exemple, les connexions qui s'établissent entre ce mouvement du «retour à la nature» et les stratégies nouvelles de l'Etat sur l'espace, on peut penser que les néo-ruraux sont les expérimentateurs de cette croissance à la fois «plus gratifiante» et «sobre» aujourd'hui mise en avant comme objectif national. Mais ces agriculteurs qui ne sont pas des paysans, ces artisans qui restent des intellectuels, ces «marginaux» devenus néo-notables, ces expérimentateurs sociaux qui invoquent la société rurale traditionnelle ont un mode propre d'action sur la société : parce qu'ils sont inclassables, ils perturbent le jeu ordinaire des classements sociaux là où ils s'établissent; parce que leurs initiatives sont ambiguës, ils agissent comme analyseurs des contradictions de leur couche sociale. De cette double manière, ils peuvent être traités comme des déstabilisateurs symboliques.

Source: http://www.persee.fr

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